zaterdag 27 november 2010

Détruire dit-elle



Marguerite Duras parle de son livre et son film Détruire dit-elle.

Transcription:

« J’ai fait un film… eh… un livre très rapidement.
C’était qu’après avoir pensé à ce livre pendant un an, j’ai fait le livre en une semaine, dans des conditions mentales très difficiles, c’est-à-dire, c’était un livre qui m’avait beaucoup angoissé et je ne le connaissais que très peu.

J’ai eu envie de connaître mieux ce livre, donc de le voir et de l’entendre, vous êtes… , quand vous lisez un livre, vous avez un film de ce livre dans la tête, vous êtes bien d’accord. Vous avez votre film de Madame Bovary … Bon, si c’est l’auteur, si c’était Flaubert qui avait fait Madame Bovary, quand vous voyez le film, vous dites « tiens, ça m’intéresse de voir le point de vue de Flaubert sur son film ». Vous vous posez une question. Si c’était même Resnais qui faisait Madame Bovary, vous diriez « je n’ai pas le même point-de-vue que Resnais sur Madame Bovary ». Vous comprenez la différence.

C’était évidemment un tournage difficile, puisque il ne pouvait pas durer plus de quinze jours, sans que ça soit une catastrophe financière, et finalement, on l’a fait en – quinze – et on l’a fait en quatorze jours, on a gagné un jour. C’est-à-dire que, ce qui est intéressant, c’est que… enfin, pour les cinéastes si vous voulez… j’avais prévu toutes les scènes, et en extérieur, et en intérieur, en cas de mauvais temps. Et les répétitions qui avaient duré pendant un mois et demi étaient très approfondies, avec les acteurs étaient prêts à tout moment à jouer n’importe quel scène.

Le roman n’est pas difficile, il est sans commentaire aucun. C’est comme un os le roman, comme un squelette, une structure, difficile, oui, sans doute, mais qui laisse au lecteur une marge d’interprétation très, très grande. Contrairement à mes autres livres, si vous voulez, ce livre marque, ce qu’on a appelé en France, à son propos, la fin de la phrase. Ce qui m’a donné une très grande liberté pour passer à l’image. Je l’ai écrit un peu comme un script. Il y a par exemple : « Neuf heure. » point « Crépuscule dans l’hôtel. » point. L’impact de ce crépuscule sur les personnages, je ne m’en occupe pas. Donc, dans le livre, pour traiter le crépuscule, il y a deux mots, « crépuscule » et « hôtel ». Alors, vous voyez la liberté très grande que ça vous laisse à vous lorsque vous lisez le livre. Donc, je ne pourrais rien trahir, puisqu’il y avait rien. On ne peut pas trahir « neuf heure » et « crépuscule dans l’hôtel ». Est-ce que je me fais comprendre ? On peut trahir « Il est neuf heure, ce soir-là le crépuscule était particulièrement doux. Les clients de l’hôtel étaient assis dans le parc, ils fumaient, etcetera, etcetera » Vous comprenez ? Mais, deux mots, vous ne pouvez pas les trahir. Ce n’est pas possible. C’est ce qu’on appelle, c’est ce que j’appelle la liberté. La liberté de passer à l’image ; que j’ai eu dans ce roman, c’est sûr.

Je ne vois pas pourquoi on ne passerait pas d’un livre à un film quand c’est l’auteur, n’est-ce pas. Mais, quand-même je trouverais préférable de faire un script, pour faire un film, voyez-vous. C’est parce que je ne suis pas une cinéaste, que je filme mes livres. Si j’étais une cinéaste je ferais les livres des autres. Je ne peux pas. Je ne peux même pas penser une seconde que je pourrais tourner un scénario d’un autre. Je ne suis pas une cinéaste, en tout cas. Je suis mon cinéaste, peut-être. Mais je ne suis pas une cinéaste.
Je ne crois plus au livre. Je crois qu’on ne lira plus très vite. Il restera les livres de théorie, il restera Marx, Freud, Trotski, Lénine. Mais il n’y aurait plus des romans très vite. Cependant les gens continueront à écrire. Je ne sais pas comment cette contradiction sera résolue. Les gens écriront, mais les gens ne liront plus.

Un film qui a très peu de publique, est toujours vu par dix mille personnes, au moins. Un livre qui a très peu de publique, c’est cinquante personnes. Mais mes films ne remplaceront pas mes livres, c’est-à-dire que, même dans la… dans ma perspective qui est celle… celle que je vous disais, que les gens ne liront plus et qu’ils liront de moins en moins pour arriver à la culture audiovisuelle uniquement, n’est-ce pas ? C’est-à-dire que la lecture restera [à la …] d’une classe très, très fermée, pas d’une classe, d’un pourcentage de la population très fermé qui sera une sorte de technocratie, si vous voulez. Bon, même dans cette perspective désespérée je continue à écrire.

Je voudrais faire un film sur la pensée révolutionnaire, c’est-à-dire que ça ne sera pas un film, ça sera une sorte de documentaire. Une mise-au-point de la pensée révolutionnaire en 1970. […] des confrontations, si vous voulez, entre la pensée cubaine, française, américaine, allemande … uniquement sur le plan révolutionnaire, n’est-ce pas, uniquement. Après quoi je pourrais faire un film de fiction. Si je ne fais pas ce film sur la pensée révolutionnaire, je serais mal dans ma peau, je serais mal-à-l’aise. Je ne fais plus partie d’aucun mouvement politique depuis longtemps, alors, il faut bien que mon désir s’exprime, ma passion politique s’exprime d’une façon où d’une autre. Je voudrais faire un film de cet ordre là. Alors là, vraiment qui ne s’adresserait exclusivement que à la jeunesse, parce que je crois qu’il y a une Internationale de la jeunesse, que c’est la seule valable, actuellement, dans le monde. »

Extrait du film:



Sur Détruire dit-elle:

« Dans cet hôtel à l'orée de la forêt, trois clients qui ne se connaissent pas, silencieux, solitaires : Elisabeth Alione, Max Thor qui la regarde, et Stein qui regarde Max Thor. Plus tard viendront Alissa Thor, puis Bernard Alione... Fulgurant comme l'amour, silencieux comme la mort, grave comme la folie, âpre comme la révolution, magique comme un jeu sacré, mystérieux comme l'humour, Détruire dit-elle ne ressemble à rien.

Marguerite Duras (1914 - 1996) a publié Détruire dit-elle en avril 1969. Ce sera, la même année, le premier film qu'elle réalisera entièrement. Anne Villelaur dans Les Lettres françaises écrivait que «Détruire dit-elle est le plus étrange des livres de Marguerite Duras. Il ressemble à une cérémonie dont nous ignorerions le rituel et suivrions néanmoins, fascinés, le déroulement». Et Maurice Blanchot dans L'Amitié : «Détruire. Comme cela retentit : doucement, tendrement, absolument. Un mot - infinitif marqué par l'infini - sans sujet ; une oeuvre - la destruction - qui s'accomplit par le mot même : rien que notre connaissance puisse ressaisir, surtout si elle en attend les possibilités d'action. C'est comme une clarté au coeur ; un secret soudain. Il nous est confié, afin que, se détruisant, il nous détruise pour un avenir à jamais séparé de tout présent».

Extrait du livre:
Neuf heure, crépuscule, crépuscule dans l'hôtel et sur la forêt.
- Vous permettez ?
Il relève la tête et le reconnaît. Il a tou¬jours été là, dans cet hôtel, depuis le pre¬mier jour. Il l'a toujours vu, oui, soit dans le parc, soit dans la salle à manger, dans les couloirs, oui, toujours, sur la route devant l'hôtel, autour du tennis, la nuit, le jour, à tourner dans cet espace, à tourner, seul. Son âge n'est pas ce qui apparaît, mais ses yeux.
Il s'assied, prend une cigarette, lui en offre une.
- Je ne vous dérange pas ?
- Non non.
- Je suis seul moi aussi dans cet hôtel. Vous comprenez.
- Oui.
Elle se lève. Elle passe. Il se tait.
- Nous sommes les derniers tous les soirs, regardez, il n'y a plus personne.
Sa voix est vive, presque brutale.
- Vous êtes un écrivain ?
- Non. Pourquoi me parlez-vous au¬jourd'hui ?
- Je dors mal. Je redoute d'aller dans ma chambre. Je tourne en proie à des pen¬sées exténuantes.
Us se taisent.
- Vous ne m'avez pas répondu. Pour¬quoi aujourd'hui ?
Il le regarde enfin.
- Vous l'attendiez ?
- C'est vrai.
Il se relève, l'invite du geste.
- Allons nous asseoir près des baies, voulez-vous ?
- Ce n'est pas la peine.
- Bon.
Il n'a pas entendu son pas dans l'escalier. Elle doit être allée dans le parc, en atten¬dant que la nuit vienne tout à fait. Ce n'est pas sûr.
- Il n'y a que des gens fatigués ici, vous le saviez ? Voyez, il n'y a pas d'enfants, ni de chiens, ni de journaux, ni de télévision.
- C'est pour ça que vous y venez ?
- Non. Je viens là comme j'irais ailleurs. J'y reviens tous les ans. Je suis comme vous, je ne suis pas malade. Non. J'ai des sou¬venirs attachés à cet hôtel. Ils ne vous intéresseraient pas. J'y ai rencontré une femme.
- Elle n'est pas revenue ?
- Elle a dû mourir.
Il dit tout de la même voix, son débit est monotone.
- Entre autres hypothèses, ajoute-t-il, c'est celle que je retiens.
- Néanmoins, vous revenez pour la retrouver ?
- Non non, je ne le crois pas. N'allez pas croire qu'il s'agissait d'une... non, non... Mais elle a retenu mon attention pen¬dant tout un été. C'est tout ce qui a eu heu.
- Pourquoi ?
Il attend avant de répondre. Il regarde rarement dans les yeux.
- Je ne saurais pas vous le dire. Il s'agissait de moi, de moi devant elle. Vous comprenez ? Si nous allions près des baies ? » (source : http://www.passagedulivre.com/livre-43153-detruire-dit-elle.htm)

Openingscredits "Le Casse" (1971)

dinsdag 9 november 2010

Bonjour, Marguerite



M.D. - "On a pas eu peur de le faire."
J.L.G. - "Maintenant j'aurais un peu peur; j'ai plus peur qu'avant."